LA "RESPONSABILIT� DE PROT�GER" ET LES SINISTR�S DU CYCLONE NARGIS EN BIRMANIE
La situation en Birmanie au lendemain du passage du cyclone Nargis suscite des questions sur "la responsabilit� de prot�ger", principe adopt� � l'ONU en 2005, une initiative largement pilot�e, au d�part, par le Canada. Alors que le bilan des victimes du cyclone Nargis, qui a d�vast� la Birmanie empire, l'aide internationale continue d'arriver au compte-gouttes dans le pays en raison des obstacles mis en place par la junte militaire au pouvoir. Dans les jours qui ont suivi la catastrophe, plusieurs tonnes d'aide d'urgence restaient bloqu�es dans des camions en Tha�lande � la fronti�re faute d'autorisation pour entrer dans le pays. Cette situation a engendr� une multitude d'appels internationaux pour que les autorit�s ouvrent le pays � une aide essentielle pour au moins un million et demi de sinistr�s du cyclone. Le Canada, de son c�t�, disait esp�rer convaincre la junte militaire de laisser entrer l'�quipe canadienne d'intervention en cas de catastrophe (DART) en Birmanie. La Chambre des communes a par ailleurs adopt� � l'unanimit� une motion demandant au gouvernement de la Birmanie d'ouvrir ses fronti�res � l'aide internationale. Mais la junte a fait la sourde oreille � toutes ces exhortations. Les militaires birmans disent pouvoir g�rer eux-m�mes l'aide humanitaire. Mais vendredi, la Croix-Rouge internationale estimait qu'une semaine apr�s le passage du cyclone, les personnels humanitaires avaient pu avoir acc�s � seulement 220.000 victimes sur au moins 1 million et demi de personnes affect�es. Selon l'ONU, faute d'augmentation massive et rapide de l'aide, la suite des choses pourrait tuer autant de personnes que le cycle initial. Il faut �viter la propagation de maladies qui pourraient multiplier le nombre d�j� �lev� de victimes. L'Organisation mondiale de la Sant� s'attend ainsi � une augmentation et des affections respiratoires aig�es et des maladies diarrh�iques. Bref, le temps presse. La question centrale qui se pose ici est: en cas d'�chec de la diplomatie, est-ce que la communaut� internationale peut agir sans l'autorisation de la junte birmane pour porter assistance � la population . Sujet fort d�licat. Au cours de la semaine, un responsable du d�partement d'Etat avait annonc� que les Etats-Unis se pr�paraient pour des largages d'aide aux sinistr�s du cyclone sans autorisation pr�alable des autorit�s birmanes. Dans les heures qui ont suivi, le secr�taire am�ricain � la D�fense, Robert Gates, a rapidement corrig� le tir. Il a exclu la possibilit� d'envoyer de l'aide aux sinistr�s du cyclone qui a ravag� la Birmanie sans l'accord de la junte birmane. De son c�t�, le ministre fran�ais des Affaires �trang�res, Bernard Kouchner, l'un des fondateurs de M�decins sans fronti�res, a propos� une r�solution du Conseil de s�curit� pour passer outre aux r�ticences du gouvernement birman, en s'appuyant sur le concept de "responsabilit� de prot�ger". Les diplomates fran�ais � l'ONU ont aussit�t fait face au refus de plusieurs Etats membres. Huit des 15 pays membres, la Chine, la Russie, l'Afrique du Sud, l'Indon�sie, le Vietnam, le Costa Rica, la Libye et le Panama, se sont prononc�s contre l'implication du Conseil. Motif invoqu� par ces pays: les questions humanitaires ne sont pas du ressort du Conseil de s�curit�, dont le champ de comp�tence se limite aux menaces pour la paix et la s�curit� internationales. Liu Zhenmin, ambassadeur adjoint de Chine � l'ONU a �t� tr�s clair: "le probl�me actuel en Birmanie provient d'une catastrophe naturelle, ce n'est pas un sujet pour le Conseil de s�curit�, mais pour d'autres forums de l'ONU". Bref, comme l'a dit l'ambassadeur fran�ais aux Nations unies, Jean-Maurice Ripert, la proposition fran�aise a �t� rejet�e pour des raisons "politiques et de proc�dure". Il n'est pas inutile ici de revenir sur ce concept de la "responsabilit� de prot�ger". Le Canada a �t� directement impliqu� dans ce dossier depuis septembre 2000. A ce moment-l�, � la suite des �checs collectifs de l'ONU en Bosnie et au Rwanda notamment, le Canada avait pris l'initiative de lancer l'id�e d'une "Commission internationale de l'intervention et de la souverainet� des �tats" au Sommet du mill�naire des Nations Unies � New York. Cette commission a produit l'ann�e suivante le rapport "La responsabilit� de prot�ger". Le Sommet mondial de 2005 a adopt� la doctrine de la responsabilit� internationale de prot�ger. Les membres de l'ONU reconnaissaient formellement leur responsabilit� collective de prot�ger les populations contre les g�nocides, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanit�." L'initiative a �t� salu�e de toutes parts, et notamment au Canada, comme un "grand pas". Des voix plus sceptiques s'�taient �galement �lev�es pour rappeler que toute d�cision sur une intervention humanitaire serait ultimement la pr�rogative unique du Conseil de s�curit�, et finalement d�termin�e par les cinq membres permanents qui ont un droit de veto. Il faudrait toujours franchir l'obstacle politique qui consiste � convaincre les membres du Conseil d'agir. La question de l'aide � la population birmane provoque aujourd'hui un d�bat de fond sur le sens � donner � la "responsabilit� de prot�ger". A Ottawa, le critique lib�ral en mati�re d'affaires �trang�res, Bob Rae, a d�clar� que le Canada et ses alli�s devaient invoquer la doctrine de la " responsabilit� de prot�ger" et forcer la junte � accepter l'aide �trang�re. De son c�t�, la chanceli�re allemande Angela Merkel a estim� "irresponsable" le blocage du Conseil de s�curit� de l'ONU o� plusieurs pays ont refus� de discuter de l'aide humanitaire � la Birmanie. Elle a dit soutenir "express�ment" l'initiative fran�aise pour que le Conseil de s�curit� de l'ONU s'implique dans la crise. De m�me, l'ancien num�ro un des affaires humanitaires de l'ONU, Jan Egeland, estime que dans le cas de l'aide aux sinistr�s du cyclone en Birmanie, il s'agit "absolument d'une question pour le Conseil de s�curit�". "Nous vivons dans un monde nouveau, dit-il o� existe une responsabilit� de prot�ger, d'assister". R�cemment, au cours de sa visite aux Etats-Unis, le pape Beno�t XVI, avait d�j� propos� d'�tendre la port�e de la responsabilit� de prot�ger "aux crises humanitaires li�es � des causes naturelles" pour faire en sorte qu'en l'absence d'une protection assur�e par l'Etat, la communaut� internationale intervienne pour prot�ger les populations. Cette interpr�tation large de la doctrine de l'ONU sur la protection des populations civiles a cependant des adversaires. Au nombre de ceux-ci, l'un des 12 auteurs du rapport "La responsabilit� de prot�ger", Ramesh Thakur. Dans une libre opinion publi�e par le Globe and Mail, le 8 mai, il plaide avec vigueur contre une "mauvaise utilisation" de la doctrine. Cette derni�re, affirme-t-il, doit �tre r�serv�e uniquement � l'arr�t des tueries massives et non � " la mort caus� par des d�sastres naturels", comme si la mort de milliers de sinistr�s abandonn�s par leur gouvernement avait un poids moins grand. Stricto sensu, il est clair que les d�sastres naturels ne sont pas couverts comme tels par la doctrine en question. Mais il faut se souvenir ici de l'intention initiale � l'origine de la " responsabilit� de prot�ger". Dans une allocution prononc�e en novembre dernier devant des �tudiants de l'Universit� de Toronto, le d�put� lib�ral, Michael Ignatieff, �galement un des auteurs du rapport "La responsabilit� de prot�ger", a soulign� que jusqu'� pr�sent on avait trop mis l'accent sur d'�ventuelles interventions arm�es plut�t que sur l'id�e fondamentale de la "protection" des populations qui peut prendre plusieurs formes. Ramesh Thakur oublie totalement l'esprit de la doctrine. Lorsqu'un gouvernement laisse d�lib�r�ment mourir sa population en refusant une aide ext�rieure vitale, cela n'�quivaut-il pas au bout du compte � un crime aussi grave qu'un g�nocide? Jean B�riault Chroniqueur de politique �trang�re [email protected] 9 mai 2008
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JEAN BÉRIAULT
Etudes:
• Doctorat en Histoire (Relations Internationales) de l'Université de
Paris-Sorbonne
obtenu en 1976 suite à la soutenance d'une thèse sur la politique étrangère
chinoise. •Baccalauréat spécialisé en Science politique.
(Relations internationales) UQAM. 1972.
• Baccalauréat ès Arts obtenu au Collège Jean-de-Brébeuf
en 1970.
Vie professionnelle:
A Radio Canada International, chroniqueur spécialisé en politique étrangère
canadienne et affaires internationales depuis 1997 et chef-de-pupitre depuis
plus de 20 ans. Effectue des reportages à l'étranger, aux Etats-Unis,
en Europe, au Proche-Orient et en Asie, pour assurer notamment la couverture
des négociations commerciales multilatérales sous l'égide
du GATT ainsi que celle des sommets de l'OTAN de 1999 et de 2002. Collabore à diverses
publications dont le magazine " Le 30 " pour une chronique mensuelle
sur la liberté de la presse dans le monde de 1993 à 2003. (www.fpjq.org). |
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